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La vie simple

Dernière mise à jour : 14 mai




Chez les Dutreuil tout était sens dessous dessus. Et comment pourrait-il en être autrement ?

L'aînée, Adélaïde Blanche Charlotte Dutreuil D'Orméricourt se mariait dans moins d'une semaine.

Sa mère, la comtesse d'Orméricourt n'en dormait plus. Elle aurait aimé que le monde entier en fasse autant, à commencer par son mari, mais ce dernier ne l'entendait pas de cette oreille et fuyant l'agitation générale dans laquelle sa femme avait mis le domaine, il se réfugiait dans sa bibliothèque pour y lire, indifférent au raffut qui l'entourait. Quant à la secrétaire de Madame la comtesse, Louise, elle ne dormait plus que d'un oeil.

Des membres de la famille proche, oncles et tantes, cousins et cousines, étaient attendus et les domestiques s’acharnaient, pour que du sol au plafond, tout brillât comme un sou neuf.

Certains invités avaient prévu de faire le trajet en voiture, d'autres en avion ou en train et des chauffeurs dans les berlines rutilantes, devaient les attendre à l'aéroport ou à la gare, pour les conduire au domaine.

À l'approche de cet évènement qu'elle voulait non pas régional mais planétaire, et tôt levée pour ce qui s’annonçait comme le nouveau marathon de la journée, la comtesse avala à la hâte son café, avant d'arpenter l'immense domaine au pas de course, métamorphosé pour l'occasion, avec sa secrétaire Louise, qui haletante, crayon et bloc notes en main, tentait de suivre le rythme.

La comtesse dispensait des conseils par-ci, soupirait par là ou levait les mains au ciel en invoquant tous les saints connus. On pouvait l’entendre crier :

''Non, non, et non, le chapiteau n’est pas droit, vous voulez provoquer un accident ma parole ! Et je crois qu'il manque encore des tables ! Georges mon garçon, faites attention à ce vase, je vous en prie ! Et déplacez moi cette tapisserie pour l’amour du ciel, sa place est à l’entrée, pas ici ! Où est le fleuriste, il n'est pas encore arrivé ?? Appelez moi le fleuriste Louise, tout de suite ! Allez, dépêchez vous ma fille, soyez plus dégourdie voyons ! Ciel, je ne vais jamais y arriver ! ''

Et c'était la même rengaine du matin au soir.

Le personnel de la maison, à qui une armée impressionnante de petites mains est venu prêter main forte pour l'occasion, était sur les dents : pensez donc, ce n'est pas tous les jours qu'un tel évènement avait lieu ! La comtesse avait rassemblé tous les domestiques et fait savoir à chacun que l'heure était solennelle : le mariage devait être parfait et tant pis si la perfection n'existait pas...

En très peu de temps, le domaine s'était transformé en une véritable ruche. C'était un ballet incessant de visiteurs, d'ouvriers, tous corps de métiers confondus, de menuisiers, de coursiers chargés d'immenses paquets, de livreurs avec des cadeaux somptueux venus du monde entier, de fleuristes de renom, d'artistes et de musiciens au sommet de leur art, de marchands chargés de victuailles et toutes sortes d'objets inestimables, qui valsaient d'un lieu à un autre, dès l'aube jusqu'au soir.

Dans la journée, Mademoiselle Adelaïde, escortée tantôt de sa mère et de ses tantes, tantôt de ses soeurs, de quelques amies ou de ses demoiselles d'honneur, se pressait chez la couturière, le chapelier ou le bijoutier. Le soir, d'interminables repas officiels où l'on recevait la famille proche, la belle-famille ou quelques dignitaires, se prolongeaient jusque tard dans la nuit. À cela venaient s'ajouter mille et une contrariétés, qui agissaient sur la comtesse comme des prémices de fin du monde. Chaque coup de fil la faisait sursauter, chaque imprévu mettait ses nerfs à vif. Il fallait téléphoner, envoyer des cartes, des missives, ajouter des invitations de dernière minute, trouver des alternatives pour les livraisons retardées ou crier sur les ouvriers maladroits, car Louise sa secrétaire, on s’en doutait, ne faisait rien ''comme il fallait''.

Lorsque son mari tentait de faire baisser la fébrilité qui l'agitait, elle s'offusquait et se plaignait de son inaction dans de telles circonstances, où selon ses dires, l'honneur de la famille était en jeu.

_ Allons allons, l'honneur de notre famille n'est pas en péril je vous l'assure, n'est ce pas plutôt votre fierté qui est en jeu très chère ? répondait-il malicieusement en la regardant par dessus son journal. La comtesse fulminait et tournait les talons, sans lui adresser le moindre mot.

Mademoiselle Adelaïde dont le nom résonnait dans toute la maison était au comble du désespoir : sa mère ne lui laissait pas un instant de répit, aussi, après avoir arpenté tous les magasins de la ville, pour souffler un peu, elle rejoignait son père dans la bibliothèque.


_ Si seulement les choses pouvaient être plus simples ! soupira-t-elle avant de s'écrouler sur un des nombreux fauteuils de la pièce.

_ Je doute que ta mère connaisse la définition du mot ''simple'' ma chérie, disait-il dans un grand sourire.

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Depuis que le monde existe, l'homme s'est évertué à tout compliquer. Pourtant il était promu à une vie simple : son cadre de vie naturel était des plus agréables, sa nourriture était simple, délicieuse et rien ne faisait obstacle à sa liberté. Dieu l'avait même laissé libre de ses mouvements : il n'avait nullement besoin de vêtements. Mais au milieu de cette merveilleuse simplicité, l'homme a estimé qu'il n'était pas tout à fait heureux et qu'il le serait à condition de posséder plus. Non seulement il ne gagnât rien de plus, mais il perdit tout ce qu'il avait.


Qu'il soit riche ou pauvre, qu'il vive en Afrique ou en Occident, quelle que soit sa classe sociale, le constat est le même : l'homme moderne a complexifié son existence, sa parole, ses pensées et ses actions. Ce qui est nécessaire à la vie, au mouvement et à l'être ne lui suffisent plus : il désire toujours plus.


Prenons un homme pauvre parmi les pauvres, un déshérité qui a subi quelque infortune, qui vit dehors, affronte les rudesses de l'hiver et peine à trouver de la nourriture chaque jour. Donnez-lui un travail stable, une charmante maison avec un minimum de confort, un lit douillet et des commodités telles que le chauffage et l’eau chaude. Au bout de quelque temps, cet homme se sera accoutumé à sa nouvelle vie et se déclarera heureux et très satisfait, du moins le pense-t-il.


Maintenant prenez le même homme et faites-le monter d'un ou de deux crans afin qu'il soit haut placé, ajoutez deux chiffres à son salaire et vous verrez que ce qu'il estimait être du grand luxe hier, (sa maison, son lit douillet), lui paraîtra maintenant grossier et indigne de lui. Sa nourriture lui semblera fade et son entourage dépourvu d'ambition. Il voudra changer de maison pour en acheter une plus grande, plus luxueuse et l'équiper avec du mobilier dernier cri. Il aspirera à posséder une belle voiture, des vêtements de marque et des accessoires coûteux. Il voudra sans doute rejoindre un club ou un cercle privé où évoluent de personnes de son statut .


Notre homme voudra certainement avoir une compagne auprès de lui, mais il ne posera pas un regard sur une femme du peuple, il voudra à son bras, une femme de son rang, qui ''pèse'' dans la balance. Elle lui réclamera des robes de créateur, des bijoux hors de prix et les plus belles fourrures. Il consentira à lui donner tout ce qu'elle exigera, pour prix du plaisir qu'il aura à l'exhiber tel un trophée. Maintenant qu’il fréquente des milieux huppés, des personnes fortunées et des gens hauts placés, son nouveau statut viendra balayer la gêne des premiers débuts et à force de travail (et pas mal de billets), il fera disparaître ce qui était de l'homme ancien et deviendra un homme nouveau, distingué et ''raffiné'' à ses yeux.


Ce nouveau statut ne va pas sans complexités et problèmes de toutes sortes, pour le maintenir dans sa nouvelle position mais aussi pour tenter de rivaliser avec ceux qui l'entourent. Notre homme aurait pu s'éviter bien des tracas en choisissant une autre voie : une vie simple. Ce n'est pas un manque d'ambition, mais un choix qui permet de dormir sur ses deux oreilles, sans avoir à rendre compte aux autres de ce que l'on possède ou non. C'est ainsi que nous faisons des erreurs de calculs et ajoutons des complications à notre vie, en retranchant la paix que procure la simplicité.


Aussi étonnant que cela puisse paraître, ceux qui ne manquent de rien sont ceux qui s'inquiètent davantage du ''Que mangerons nous, que boirons nous ? '' et les femmes qui n'ont qu'une robe ou deux, ne sont pas celles qui se soucient le plus de leur apparence et du regard des autres. Il suffit d'observer les gens aisés ou les riches ; l'ordinaire ne saurait suffire là où les besoins élémentaires ont été enrobés de luxe et l'appétit est plus mordant, plus exigeant là où la table se veut soignée...

Plus l'homme mange à sa faim et plus il s'inquiète du lendemain, n'est ce pas curieux ? Plus nous possédons de choses, moins nous nous sentons heureux et épanouis. Regardez l'abondance de confort dans laquelle nous baignons : aucun autre siècle ne fait autant face à l'anxiété, au vide existentiel et n'use de drogues et anti dépresseurs comme le nôtre.

Si nous sommes si creux à l'intérieur c'est parce que nous avons perdu la notion de simplicité, au profit d'une vie factice, artificielle, où la quête des choses matérielles nous laisse épuisés, désabusés et désenchantés.


Nous sommes à l'image de la comtesse d'Orméricourt, livrés à la déraison, à une vie de course, de vacuité, d'apparat, pour impressionner notre entourage. Certes, un mariage demande un peu d'argent et quelque dépenses d'énergies, mais combien de femmes (quelques d'hommes aussi, mais en la matière, les femmes perdent la raison), en profitent pour se livrer à des excès, quitte à faire des folies, à dépenser sans compter, désirant que leur mariage fasse parler par son faste démesuré ?

Il existe bien d'autres domaines où nous nous sommes compliqués la tâche et avons créé de toute pièce, un ersatz de vie, une existence artificielle pour l'unique désir de consommer à outrance, de paraître et de briller. Hélas, vouloir briller à tout prix ce n'est pas vivre réellement, c'est disparaître peu à peu dans la fumée et la brume de nos conquêtes illusoires.

Tournons nous vers une vie simple. Nous y trouverons le sens de l'existence, la paix du coeur, la douceur et la tranquillité dont notre âme a besoin.


Extrait de Le guide de l'éducation financière, de Faty Cardoso


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